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  • Napoléon LaFossette

[TUTO] Ça veut dire quoi, être propriétaire de ses masters?

Dernière mise à jour : 26 juin 2019

C’est une affirmation qui revient souvent, au gré des débats de la sphère rap sur les réseaux sociaux et des sorties de rappeurs américains. Être propriétaire de ses masters, comme Nipsey Hussle, comme 21 Savage, c’est trop cool. Alors, tout le monde dit que c’est cool, sans forcément comprendre ce que ça signifie, être propriétaire de ses masters. Explications.



1. C’est quoi, un master ?


Un master, ou enregistrement sonore, ou phonogramme, c’est le fichier audio sur lequel est fixée la version définitive d’un morceau de musique. En gros, c’est le fichier que vous lisez en écoutant un morceau sur Deezer ou sur le dernier CD que vous avez acheté.

Ce fichier, c’est ce que l’on appelle un bien immatériel. C’est-à-dire un bien qui existe sans être palpable dans le monde physique. On ne touche pas un fichier .mp3, on ne touche que le CD sur lequel est gravé ce fichier .mp3. Donc, à la différence d’un gramme de beurre ou d’une chaise, il peut être décuplé à l’infini. Il suffit d’un simple copier-coller ou d’un simple WeTransfer par exemple, pour le démultiplier, le rendre accessible à tout un tas de personnes.


2. C’est qui le propriétaire d’un master ?


Malgré tout, ce bien a un propriétaire. Mais, de quoi est-il propriétaire, si le bien peut être décuplé à l’infini ? De toutes les versions de ce bien, tout simplement. Ainsi, seul lui peut autoriser que ce master soit reproduit, seul lui peut l’exploiter commercialement ou autoriser son exploitation commerciale par un tiers, entre autres. C’est-à-dire qu’en théorie, quiconque transmet sur une clé USB une copie de ce master à un tiers sans autorisation de son propriétaire, viole le droit de ce propriétaire.


Le propriétaire d’un master, en droit français, c’est « la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation » de la séquence de son qu’est le master. Traduction pour les non-juristes : c’est celui qui paye un prestataire pour la fixation d’une séquence de sons émis dans le monde physique sur un fichier audio. Ou alors, celui qui s’occupe directement de la fixation par lui-même. Ce propriétaire a un nom précis dans le monde musicale : le producteur.


3. C’est qui, le producteur du morceau que je viens d’écouter ?


Le schéma classique de production dans la musique est simple. Un producteur décide de financer la création d’un album, d’un single, d’un EP ou de tout master/ensemble de masters sur lesquels un artiste ou un groupe interprète des œuvres musicales. C’est-à-dire l’interprétation par des artistes-interprètes de compositions musicales et de paroles écrites par eux-mêmes ou par un tiers. Si le business du producteur est correctement structuré, il va donc proposer à l’artiste-interprète/au groupe de signer un contrat d’artiste (ou, dans une formulation plus correcte juridiquement, un contrat d’enregistrement exclusif). Celui-ci va porter sur un album, deux EPs, un morceau, deux mixtapes et deux albums en option, etc. Par ce contrat, l’artiste-interprète va s’engager à ce que tous les enregistrements futurs de ses interprétations ne puissent être produits que par ce producteur précis, jusqu’au terme du contrat (calculé soit par une durée fixe, soit par une durée découlant du nombre de projets musicaux que l’artiste-interprète s’engage à enregistrer).


Ces contrats sont presque systématiquement conclus avec des sociétés de production, bien qu’une personne physique puisse être producteur. Si vous souhaitez reconnaître le nom de ces sociétés de production, je vous transmets un tip tout bête : le terme « Records » ou « Recordings » apparaît souvent dans leur nom commercial.


Ainsi, si vous venez d’écouter break up with your girlfriend, i’m bored d’Ariana Grande, le producteur de ce morceau est Republic Records (filiale d’UMG Recordings), qui a conclu un contrat d’artiste avec la popstar.


4. Mais du coup, les artistes ne sont pas propriétaires de leurs masters ?


L’explication jusqu’ici menée vous a peut-être perdu par rapport à la question initiale. Elle était nécessaire pour arriver au point actuel : un artiste peut être propriétaire de ses masters. Comment ? C’est là que rentrent en jeu divers autres contrats courant dans le milieu de la musique, dont 2 sur lesquels je vais me concentrer aujourd’hui : le contrat de licence et le contrat de distribution.


Comme je l’expliquais plus haut, le producteur d’un master est le seul qui peut autoriser ou non l’utilisation – et notamment commerciale – de ce master par des tiers. Or, les biens immatériels ont l’avantage de pouvoir faire l’objet de licences. Un bien classique, fongible, peut être prêté à quelqu’un qui souhaite l’utiliser. Ce qui arrive par exemple lorsque vous prêtez votre vieille Xbox One à un pote après avoir enfin acheté une PS4. Grosso modo, les licences c’est la même chose, mais adapté aux biens immatériels : Microsoft vous donne une licence pour que vous puissiez utiliser le logiciel Microsoft Word qui lui appartient, McDonalds donne une licence à un franchisé pour qu’il puisse commercialiser des produits portant la marque McDonalds. Le producteur donne une licence à un distributeur pour qu’il puisse imprimer des CDs comprenant les masters qui lui appartiennent et vous les vendre.

Dans la même logique, un producteur peut donner une licence à une autre société pour qu’elle exploite des masters dont elle est propriétaire. Ceci se fait principalement par le biais des 2 types de contrats évoqués ci-dessus. C’est-à-dire le contrat de licence (appelé comme cela en pratique mais n’étant qu’une catégorie des licences pouvant être fournies par un producteur), par lequel une société de production (c’est-à-dire un label) confie à son licencié le droit de commercialiser les masters dont elle est la propriétaire, l’obligeant au passage à en assurer financièrement et humainement la promotion et la distribution. Puis le contrat de distribution (qui est juridiquement un contrat de licence, à l’inverse de ce que pourrait faire croire le jargon musical), par lequel une société de production confie à son licencié (ici appelé « distributeur ») le droit de commercialiser les masters dont elle est la propriétaire, l’obligeant au passage à en assurer financièrement et humainement la distribution. Dans la musique, ces licences sont dites exclusives, c’est-à-dire que l’étendue des droits cédés en licence à licencié ne peuvent être cédés à d’autres sociétés, et ne peuvent pas être exploités par le label lui-même.


Or, de nombreux artistes montent leur propre société de production, signent un contrat d’artiste avec cette société qui leur appartient, puis accordent une licence exclusive sur leurs futurs projets à un tiers (soit une major, soit un gros label indépendant, soit un distributeur affilié ou non à une major). Le licencié s’occupera donc de la distribution (en contrat de distribution), voire également de la promotion et du marketing (en contrat de licence).


Le gros avantage qu’y retrouvent les sociétés de production indépendantes (qu’elles soient ou non détenues par l’artiste-interprète), au-delà des compétences et des finances du licencié/distributeur, c’est qu’elles peuvent recevoir au passage des avances sur royalties. C’est-à-dire que, dans tous les cas, le licencié va percevoir les sommes générées par la commercialisation des masters et va en reverser une part au producteur en vertu du contrat de licence. Mais il pourra aussi verser par avance une somme fixe (par exemple, 40 000€ sur un album en licence), qui va constituer une avance sur les royalties à percevoir à l’avenir et qui va permettre au producteur de financer une partie ou la totalité de la création de l’album.


Et à la fin, les artistes sont donc propriétaires de leurs masters via leur label.


5. Quel intérêt à être propriétaire de ses masters ?


A première vue, la réponse parait évidente : les pourcentages de royalties sont plus importants qu’en contrat d’artiste (8 à 12% en général en contrat d’artiste, contre 25 à 35% en général sur un contrat de licence et 65 à 85% en général sur un contrat de distribution). Mais, produire un album, une mixtape ou un EP, cela amène souvent des dépassements de coûts par rapport au budget initial. L’intérêt financier n’est donc pas systématique, en tout cas à court-terme. Alors que l’artiste-interprète lui, n’a rien à payer et récupère malgré tout des royalties.


Toutefois, lorsqu’un artiste autoproduit gère bien ses budgets et la négociation de son contrat de licence ou de distribution, cela peut effectivement prendre la forme d’un avantage. Notamment à long terme : il touchera bien plus de revenus grâce à cette exploitation. Ainsi, lorsqu’il sera rentré dans ses frais de production et que l'avance sera recoupée, le reste des royalties qu’il touchera seront du bonus, avec des pourcentages bien plus élevés que s’il ne touchait qu’une part de royalties d’artiste-interprète en contrat d’artiste.


Mais surtout, la propriété de son œuvre signifie qu’il peut disposer de ce bien de manière à générer de nouveaux revenus, une fois le contrat de licence ou de distribution terminés (en général, pas plus d’une dizaine d’années après la sortie d’un album). Par exemple en concluant de nouvelles licences, potentiellement juteuses selon la réussite des albums et/ou de singles extraits de ces albums, pouvant d’ailleurs générer une nouvelle avance. Tout cela sans aucun coût de production supplémentaire (à la rigueur quelques centaines d'euros pour la remasterisation). Puis, en étant propriétaire de ses masters, l’artiste se constitue un catalogue (c’est-à-dire l’ensemble des masters dont il est propriétaire), à la manière d’un promoteur immobilier qui serait propriétaire d’un tas d'appartements. Ce catalogue, il peut décider de le vendre en partie ou en intégralité, et ainsi gagner des montants très intéressants si jamais il se retrouve un jour en difficulté financière. Diverses possibilités que n’a donc pas un artiste-interprète qui a signé un contrat d’enregistrement exclusif.


6. Beaucoup d’artistes sont-ils propriétaires de leurs masters ?


Il est difficile de chiffrer la proportion d’artistes propriétaires de leurs masters. Puisque ces contrats n’ont pas vocation à être publics, que certains artistes affichant partout le nom de leur label ne sont que co-producteurs (c’est-à-dire co-propriétaires de leurs œuvres) et que le label affilié à un artiste peut également être en partie détenue par des proches de l’artiste (son manager, ses parents, ses frères et sœurs, etc).


Malgré tout, un constat empirique permet d’affirmer sans trop de doutes que l’auto-production (la production de ses morceaux par un artiste-interprète donc) est plus présente dans le rap que dans des genres plus mainstream en France comme la variété. Je n’irai pas plus loin dans ma réponse, afin de pas dire de bêtises.


7. Pourquoi tous les artistes ne cherchent pas à être propriétaires de leurs masters ?


D’abord, pour la même raison que celle m’ayant mené à ouvrir ce blog : l’information sur le business de la musique n’est pas forcément simple à trouver et à comprendre. Beaucoup d’artistes sont dépassés par ces questions, veulent juste faire leur musique et point.


Ensuite, parce que gérer son propre label, à moins de marcher assez pour que des gens s’en occupent entièrement pour soi, ça demande un sens de l’organisation, du business, de la rigueur, de la prise de risques. Tout le monde n’est pas fait pour être auto-produit, surtout dans le rap qui est un genre où les artistes qui vendent dépassent très rarement la quarantaine.


Puis, s’auto-produire ça demande une certaine concentration et une certaine régularité, qui peuvent être préjudiciable à l’artiste dans la création de sa musique, pouvant le ralentir.


Enfin, certains préfèrent rester sous contrat d’artiste pour diverses raisons ici citées, mais également parce qu’ils pensent qu’ainsi la maison de disques se concentrera plus sur leur travail que sur celui de l’artiste d’à-côté qui n’y est signé qu’en licence. C’est un postulat qui se tient, toutefois chaque major et chaque gros label indépendant a sa manière de prioriser les artistes et de travailler, faire des généralités n'aurait aucun intérêt.



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